"On est bien en autobus, vous trouvez pas? C'est comme un avion avec les ailes coupées, non?"
(Réjean Ducharme, L'hiver de force)
Compilation personnelle de citations, de fragments de textes et autres poussières de lecture et parfois... d'écriture
Parce que les écrits restent...
"On est bien en autobus, vous trouvez pas? C'est comme un avion avec les ailes coupées, non?"
(Réjean Ducharme, L'hiver de force)
"On a regardé dehors. Il n'y avait rien, sauf le printemps, et il ne faisait rien. On a lavé la vaisselle. Il n'y en avait pas beaucoup ; ça a été vite fait. Avant, quand il ne nous restait plus rien à faire, on se creusait la tête. "C'est effrayant, la vie est en train de nous passer sous le nez." Maintenant on s'assoit et on reste assis tranquilles en priant le bon Dieu que ça ne change pas. "On est donc bien!" On s'est dit que ce qui nous passe sous le nez ne nous passe pas à travers le coeur. Et on s'est crus."
(Réjean Ducharme, L'hiver de force)
"Il se penche : "Adieu, mes amis..." Pour cet adieu dans l'aube, ils traînent des ombres immenses. Mais, au seuil de ce bond de plus de trois mille kilomètres, le pilote est déjà loin d'eux... Il regarde le capot noir appuyé sur le ciel, à contre-jour, en obusier. Derrière l'hélice, un paysage de gaze tremble.
Le moteur tourne maintenant au ralenti. On dénoue les poignées de main comme des amarres, les dernières. Le silence est étrange quand on agrafe sa ceinture et les deux courroies du parachute, puis quand d'un mouvement des épaules, du buste, on ajuste à son corps la carlingue. C'est le départ même : dès lors, on est d'un autre monde.
Un dernier coup d'oeil au tablier, horizon de cadrans, étroit mais expressif - on ramène, soigneux, l'altimètre à zéro, - un dernier coup d'ail aux ailes épaisses et courtes, un signe de la tête : "Ça va...", le voilà libre.
Ayant roulé lentement vent debout, il tire à lui la manette des gaz; le moteur, décharge de poudre s'embrase; l'avion, happé par l'hélice, fonce. Les premiers bonds sur l'air élastique s'amortissent, et le pilote, qui mesure sa vitesse aux réactions des commandes, se propage en elles, se sent grandir.
Le sol maintenant paraît se tendre, filer sous les roues comme une courroie. Ayant enfin jugé l'air, d'abord impalpable, puis fluide, devenu maintenant solide, le pilote s'y appuie et monte.
Les hangars qui bordent la piste, les arbres, puis les collines livrent l'horizon et se dérobent. À deux cent mètres, on se penche encore sur une bergerie d'enfant aux arbres posés droit, aux maisons peintes, les forêts sont encore épaisses comme une fourrure. Puis le sol se dénude.
L'atmosphère est houleuse, faite de vagues courtes et dures sur lesquelles l'avion bute et cabre; les remous le frappent aux ailes et, tout entier, il résonne. Mais le pilote le tient dans la main comme par le centre un balancier.
A trois mille, il gagne le calme. Le soleil se prend dans la mâture, aucun remous ne l'y agite. La terre, si loin, se fige, immobile. Le pilote règle les volets, le correcteur d'air et, le cap sur Paris, calcule sa dérive. Puis, se laissant engourdir pour dix heures, il ne se meut plus que dans le temps."
(Antoine de Saint-Exupéry, L'Aviateur)
« Alors qu’on préparait la ciguë, Socrate était en train d’apprendre un air de flûte. « À quoi cela servira-t-il? Lui demande-t-on. - À savoir cet air avant de mourir. » »
(Cioran)
"Allez, assez tapé pour moi. Le dehors m'appelle. J'entends une pie jacasser follement tandis qu'une autre est sous un arbre, en train d'arracher des plumes à un ramier qui se débat. Au-dessus, un chardonneret chante en duo avec sa compagne, une ode à l'amour, ou à la vie, ou à l'amour de la vie.
Dehors. C'est là qu'est ma place."
(Mark Boyle, L'année sauvage : une vie sans technologie au rythme de la nature)
"Je gagnai les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n'affronter que les actes essentiels de la vie, et voir si je pourrais apprendre ce qu'elle avait à m'enseigner, non pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n'avais pas vécu."
(Henry David Thoreau, Walden ou la Vie dans les bois cité dans Mark Boyle, L'année sauvage : une vie sans technologie au rythme de la nature)
"J'ai décidé de cesser de m'intéresser à l'actualité en novembre 2015, plus d'un an avant de rejeter les technologies qui permettent de la diffuser. Je ne pensais pas que les nouvelles fussent un mal en soi - même si elles étaient presque toujours mauvaises -, mais je ne souhaitais plus les lire. Je trouvais qu'elles étaient devenues barbantes et répétitives. Comme l'a écrit Thoreau au XIXe siècle, bien avant Twitter et les chaînes d'info en continu, "Si nous lisons l'histoire d'un homme dévalisé, ou assassiné, ou tué dans un accident, ou d'une maison brûlée, ou d'un vaisseau naufragé, ou d'un vapeur qui explose... autant ne plus jamais en relire de semblables. Une seule fois suffit." L'actualité était devenu un peu comme les films hollywoodiens : la même intrigue, avec des acteurs différents.
Mais comme dit l'adage, nul homme n'est une île, si bien que les nouvelles vraiment incontournables trouvaient leur chemin jusqu'à moi, ne fût-ce que sous forme de gros titres, que cela me plaise ou non. Trump. Le Brexit. La crise des réfugiés syriens. Le terrorisme. (...)
Quelques-uns de mes amis m'ont laissé entendre que c'était irresponsable de ne pas se tenir au courant des affaires du monde, car cela revenait à laisser politiciens et grands patrons faire n'importe quoi en toute impunité. Je comprends la logique, et peut-être ont-ils raison. Mais nous n'avons jamais été exposés à autant de nouvelles; celles-ci n'ont jamais été suivies par autant d'individus, et pourtant les politiciens et les grands patrons continuent, plus que jamais, à faire n'importe quoi en toute impunité. En même temps, le contre-pouvoir de la presse s'érode, car les rédactions, mises sous pression financièrement, favorisent la quantité plutôt que la qualité afin d'alimenter sans cesse leur compte Twitter."
(Mark Boyle, L'année sauvage : une vie sans technologie au rythme de la nature)
« Les personnes silencieuses ont les esprits les plus bruyants. »
(Stephen Hawkings)