mercredi 28 juin 2006

Le bonheur selon M. Arguin

"Le bonheur est constitué de nombreux instants qui défilent devant nous en procession.
Arrêtons-le pour l'accueillir quand il passe tout près de nous."

(Gérard Arguin, 6 août 1922 - 21 juin 2006)

samedi 10 juin 2006

"Tout écrapou..."

"Dimanche dernier, vers 16h, en plein soleil, à une intersection quelconque, Superman, Spiderman, Harry Potter et plusieurs autres héros magiques ont tous été assassinés sous les roues pressées d'un VUS. Lorsqu'on a retiré le corps et les restes d'un engin hyperspatial aux allures de bicyclette bleue de sous le véhicule, on a aussi entendu les pleurs immenses de toute une école primaire, le sanglot étouffé de grands-parents meurtris jusque dans leur peau pourtant déjà toute ratatinée, le hurlement immense d'un père éternellement blessé et le silence atroce d'une mère au souffle arrêté. Et avant qu'elle ne respire à nouveau, cette mère, il en aura coulé des larmes sur son âme pour longtemps enroulée sur elle-même.
Quand on a sorti le corps de sous le véhicule, il sentait l'essence et le sang... et le pogo et le ketchup, et la crème glacée aux brisures de choco et la gomme verte à saveur de melon... Et dans sa main gauche, l'immense main gauche d'un garçon de huit ans, il n'y avait rien. Mais ce jour-là devait normalement passer dans cette main une foule d'objets indispensables au bonheur d'un garçon de huit ans. Faites vous-même le décompte : un yo-yo fluo bleu; une réglisse-fouet rouge ; une balle de baseball de pratique (elles sont plus molles que les vraies, mais on peut cogner sur la tête de son grand frère avec, pis ça fait pas mal); une télécommande (qui reconnaissait immédiatement cette main-là pitonnant immanquablement VRAK, TELETOON ou RDS); un Game-boy; un fromage Ficello; quelques cartes de joueurs de baseball à échanger avec Sébas (il est dans l'école qui pleure et il pleure aussi); un lombric; une savonnette aux couleurs du Canadien et peut-être aussi quelques crottes de nez.
Mais il ne passera plus rien dans cette main. Quand on a réussi à sortir le garçon de sous les roues du véhicule, sa main gauche était déjà froide. Et son coeur aussi. Et toutes les questions graves et immensément sérieuses emmagasinées dans son cerveau de Jell-o avaient déjà quitté son corps. Sans réponse. Qui va gagner la Coupe ? Est-ce que je vais frapper un coup sûr aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'on mange pour souper ? Est-ce que Jérémi peut rester à coucher, maman ? Si je prends ma douche tout de suite, est-ce que je peux redescendre pour voir la fin du film, papa ? C'est quoi mon camp de vacances cette année ? Est-ce qu'on va aller à la mer ? C'est quand le temps des blés d'Inde avec du sel pis du beurre ? Qui veut venir au parc avec moi ? Pourquoi j'ai une soeur, et pas un lézard ?...
Autant de cris de joie qui n'auront pas lieu, autant de plaisir de vivre gâché... par un chauffeur qui ne l'a pas vu, qui parlait au cellulaire. Mais comment a-t-il pu (le chauffeur) ne pas voir venir tout ça ? C'était là, à deux pas de lui, sur deux roues, à trois pieds du sol, en bas bleus avec des shorts trop grands et une casquette des Loisirs Saint-Paul vissée sur la tête, pis une sonnette qui faisait drelin soin-soin et qui faisait fuir le chat Caramel à chaque fois qu'il lui collait la tête près du guidon.
Mais comment peut-on ne pas voir pareil bonheur sur deux roues, pire comment peut-on le détruire en prétextant ne pas l'avoir vu ? C'est qu'il était immense ce bonheur ! Beaucoup plus gros que le plus gros des véhicules VUS, ce bonheur !
"J'étais là, a dit Louis (un petit roux qui pleure itou). J'étais là, je l'ai vu... Il était tout écrapou."
Dans ma rue, Chambord, dans mon quartier, Ahuntsic, dans ma ville, Montréal, il y en a des centaines de petits bonheur à bicyclette. Certains, avant la fin de l'été, vont se faire écrapou... Vous au volant, grand énervé, gros pressé, petit fatigué, madame banlieue, messieurs les preneurs de raccourcis qui passez dans nos ruelles comme des fusées sans cervelle, jeunes hommes et jeunes femmes cellullarisés et bien trop occupés, vous, oui vous monsieur-tout-le-monde et madame-moi-je conduis-bien, prenez garde : le jour où l'un de mes enfants se fera faucher par votre voiture, je vous le promets, j'emmène toute l'école qui pleure, les grands-parents meurtris et la mère qui ne respire plus dans votre salon. Et l'on ne partira que lorsque vous aurez pleuré vous aussi, sur le peu de cas que l'on fait aujourd'hui d'autrui et de son droit à la vie.
Je n'étais pas là lorsque le policier a sonné à la porte chez les parents de cet enfant tué par un véhicule automobile. Et je ne connais pas ces gens qui vivent un immense malheur. Mais je sais que, dimanche dernier toute la journée, j'ai eu, à plusieurs reprises, l'envie folle de prendre mes trois enfants dans mes bras et de les serrer très fort... Pourquoi je ne l'ai pas fait ? Ils n'y étaient pas, tous partis à bicyclette pour la journée...
Bon été."

(Normand Cayouette, La Presse, Montréal, samedi 10 juin 2006, p.A 26)

mardi 6 juin 2006

L'âme du monde

"Les épreuves à franchir, les grandes eaux à traverser font partie intégrante de l'expérience. La mise à l'épreuve devient une mise à prix du petit moi. Ainsi, il devient possible de mesurer notre capacité à supporter, affronter, puis braver les obstacles jusqu'à pulvériser les limites du supportable, pour découvrir le creuset insoupçonné de l'âme du monde lovée au-dedans de nous."

(Poumi Lescaut, Balayogi, l'alchimie du silence)