mercredi 23 juin 2021

 "Nous recherchons le bonheur, nous fuyons le malheur; nous avons peur de souffrir, nous voudrions toujours jouir et ne jamais mourrir. Voilà le corps de notre universelle humanité."

(Serge BouchardUn café avec Marie)

Enfants

 "Avoir des enfants, adopter un enfant, c'est avant tout créer un monde. Cet univers qui n'existait pas hier, il existe aujourd'hui, intense, inoubliable."

(Serge BouchardUn café avec Marie)

L'efface du temps

 "Le temps est une immense efface."

(Serge Bouchard, Un café avec Marie)

Oralité

 "Dans les sociétés anciennes, il y avait peu de supports externes pour entreposer la mémoire collective. Pas de documents, pas d'archives, pas de photos. L'instrument de la mémoire, c'était l'oralité, c'est-à-dire la récitation incantatoire des généalogies, des mythes, des histoires et des légendes propres à une société, cultivés par elle, transmis et retransmis à travers les générations. Curieusement, l'Occident a tôt fait de disqualifier ces contes et autres balivernes à la face même de l'histoire. Il a qualifié ce monde de "pré-historique" et a fait équivaloir la notion de mythe à de la pure fausseté. Sans document point de salut, car on sait bien que les écrits restent et que les paroles s'envolent. L'histoire commence avec l'écrit. L'histoire est donc un domaine d'enquête où il faut fournir des preuves écrites de ce que l'on avance. L'historien prétend à l'objectivité et il entend que son discours soit apprécié parce que vrai. Il se range du côté de la science. Le mythe et ses dérivés, le conte et la légende, n'ont pas cette prétention. Ils ne s'inscrivent pas dans la ligne du temps, ils tracent plutôt le cercle de l'éternel retour."

"D'ailleurs, si les écrits restent, ils n'ont pas toujours la valeur qu'on leur accorde. Car les documents se falsifient, les mensonges s'écrivent, les menteurs témoignent. L'objectivité en histoire est très souvent un mythe. On peut y tendre de bonne foi, s'en approcher parfois, mais la plupart du temps, cette objectivité cache une intention. Les histoires nationales, on le sait, sont des vues de l'esprit national. La mémoire collective est sélective. L'histoire du royaliste n'est pas l'histoire du républicain."

(Serge Bouchard, Un café avec Marie)

lundi 14 juin 2021

Veuf de son enfance

 "Quel que soit l'âge auquel on apprend la mort de ses parents, ce jour-là tue l'enfant. Devenir orphelin, c'est devenir veuf de son enfance."

(Éric-Emmanuel Schmitt, Paradis perdus)

Mort des aînés

 "On juge normal le départ de nos aînés, une normalité qui ne procure ni baume ni consolation mais nous laisse au contraire l'impression que plus rien ne sera pareil.

La vie continue en se fragilisant. Notre confiance ébranlée cherche ses appuis sans les découvrir. Cette menace que nous avions constamment perçue - la perte des nôtres - cesse de garnir un avenir indéfini ; l'horrible ne vient plus, il est advenu."

(Éric-Emmanuel Schmitt, Paradis perdus)

Migrants

 "Des colonnes de migrants, j'en ai croisé pendant des siècles. Non seulement elles n'ont jamais cessé, mais elles ont crû avec le temps. Leur fréquence a augmenté, ainsi que le nombre de marcheurs qui les composent, passant de cette trentaine d'individus à plusieurs centaines, plusieurs milliers, plusieurs millions. À ceux qui doutent que l'humanité s'améliore, je signale ce progrès indiscutable! Aujourd'hui, sur les écrans, j'aperçois des familles hagardes qui échappent aux coups d"une tyrannie ou aux bouleversements du climat ; lorsque j'arpente Beyrouth, je rencontre des Syriens cherchant à s'éloigner des terroristes qui les asservissaient, des bombardements qui détruisaient leur ville, de la famine, de la pauvreté, de l'injustice, du chaos. L'exode relève de la condition humaine.

Pourtant, ceux qui ne fuient pas refusent cette réalité. Provisoirement à l'abri, campés sur leur terrain ainsi qu'un chêne dans le sol, prenant leurs pieds pour des racines, ils estiment que l'espace leur appartient et considèrent le migrant comme un être inférieur doublé d'une nuisance. Quelle bêtise aveugle! J'aimerais tant que l'esprit de leurs aïeux circule en eux pour leur rappeler les kilomètres parcourus, les transhumances sans fin, la peur au ventre, l'incertitude, la faim. Pourquoi, au fond de leur chair, ne subsistent pas les souvenirs de leurs anciens qui survécurent au danger, à l'hostilité, à la misère, aux guerres? La mémoire de ces courages ou de ces sacrifices auxquels ils doivent leur vie les rendrait moins sots. S'ils connaissaient et reconnaissaient leur histoire, leur fragilité constitutive, la volatilité de leur identité, ils perdraient l'illusion de leur supériorité. Il n'existe pas d'humain plus légitime à habiter ici que là. Le migrant, ce n'est pas l'autre; le migrant, c'est moi hier ou moi demain. Par ses ancêtres ou par ses descendants, chacun de nous porte mille migrants en lui."

(Éric-Emmanuel Schmitt, Paradis perdus)