lundi 29 septembre 2008

Témoignage d'un art-triste

"Il n'est pas demandé à tout le monde d'être un artiste, mais aux artistes il est demandé de ne pas être comme tout le monde. (...) Ce qu'il nous faut faire entendre aujourd'hui, c'est notre différence. Notre différence dans notre manière de vouloir à tout pris être préoccupés par la beauté tout au long du jour. Il nous faut faire entendre notre poésie, notre sens de l'élégance; car nous sommes doués pour l'élégance et c'est pour cela que nous sommes détestés, nous sommes doués pour la poésie et c'est pour cela que nous sommes moqués, nous sommes doués pour la parole et c'est pour cela que nous sommes haïs. (...)


Soyons plus grands que ceux qui gagneront, en prouvant à notre tour qu'il existe une façon de gagner qui consiste à perdre. Manifestons non pas contre des coupures mais manifestons notre existence; manifestons-la, faisons-la entendre, sage et sauvage, en étant totalement nous-mêmes dans nous oeuvres, dans notre manière de contester, en ne parlant pas seulement de coupures mais en réfléchissant sur ce que cela signifie. Faisons voir l'insupportable, c'est-à-dire faisons voir une manière différente de vivre, en disant simplement qui nous sommes et ce que nous faisons. Pour ma part, je m'appelle Wajdi Mouawad, je suis auteur et metteur en scène et je suis un artiste."

(Wajdi Mouawad, "Faire entendre notre voix", Le Devoir, vendredi 26 septembre 2008, p.A8).

samedi 13 septembre 2008

De multiples modèles d'humanité

"J'ai foulé chacune des pierres jonchant le sol de ce pays. J'ai ressenti à intervalles réguliers le besoin de m'en éloigner, peut-être afin de me rapprocher de moi-même. Je ne sais pas si je suis parvenu à cette intimité avec un être qu'on dirait fugitif et qui me fuit sans cesse. Mes voyages ne m'ont jamais révélé l'exacte profondeur de cette sorte de puits auquel je me compare volontiers. Mais j'ai aimé quitter les créatures et les objets familiers, m'écarter un moment de leur contact facile pour m'exposer à d'autres usages et à d'autres bruits, à d'autres modèles d'humanité.


Rien ne fut plus propice, sinon à une connaissance meilleure de moi-même, du moins à un essor plus grand des intuitions, des impressions et des sentiments qui me réglaient. Cela me pousse parfois à vivre déraisonnablement. Mais rien n'est si logique dans l'homme, et ce sont peut-être ses aveuglements qui, à la longue, le font un peu clairvoyant."



(Jean-François Beauchemin, Ceci est mon corps)

mardi 9 septembre 2008

Devenir écrivain

"Il me semble souvent que j'aurais pu exercer avec un certain bonheur beaucoup de métiers. Mais je me suis aperçu que je n'étais vraiment intéressé que par une seule chose : l'âme humaine, ce lieu étrange où se mêlent les meilleurs de nos passions et les pires de nos idées. J'ai toujours aimé ce beau désordre qui fait l'homme. J'ai refusé de le condamner. Au contraire, quand j'ai vu que les mots pouvaient l'embellir encore, je suis devenu écrivain."

(Jean-François Beauchemin)

dimanche 7 septembre 2008

Épitaphe

"Je fus ce que tu es, tu seras ce que je suis."

(Anonyme)

mercredi 3 septembre 2008

Adieu Michelle

"Cette nuit-là je ne le vis pas se mettre en route. Il s'était évadé sans bruit. Quand je réussis à le rejoindre il marchait décidé, d'un pas rapide. Il me dit seulement:

- Ah! tu es là...

Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore:

- Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai...

Moi je me taisais.

- Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd.

Moi je me taisais.

- Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n'est pas triste les vieilles écorces...

Moi je me taisais.

Il se découragea un peu. Mais il fit encore un effort:

- Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les étoiles. Toutes les étoiles seront des puits avec une poulie rouillée. Toutes les étoiles me verseront à boire...

Moi je me taisais.

- Ce sera tellement amusant ! Tu auras cinq cents millions de grelots, j'aurai cinq cents millions de fontaines...

Et il se tut aussi, parce qu'il pleurait...

- C'est là. Laisse-moi faire un pas tout seul.

Et il s'assit parce qu'il avait peur.

Il dit encore:

- Tu sais... ma fleur... j'en suis responsable ! Et elle est tellement faible ! Et elle est tellement naïve. Elle a quatre épines de rien du tout pour la protéger contre le monde...

Moi je m'assis parce que je ne pouvais plus me tenir debout. Il dit:

- Voilà... C'est tout...

Il hésita encore un peu, puis il se releva. Il fit un pas. Moi je ne pouvais pas bouger.

Il n'y eut rien qu'un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable."

(Antoine de St-Exupéry, Le Petit Prince)




"Ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n'est pas triste les vieilles écorces..."