mardi 30 octobre 2007

Une relation manquée

"On fréquente les gens pendant des années, parfois des dizaines d'années, en s'habituant peu à peu à éviter les questions personnelles et les sujets réellement importants; mais on garde l'espoir que plus tard, dans des circonstances plus favorables, on pourra justement aborder ces sujets, ces questions; la perspective indéfiniment repoussée d'un mode de relation plus humain et plus complet ne s'efface jamais tout à fait, simplement parce que c'est impossible, parce qu'aucune relation humaine ne s'accommode d'un cadre définitivement étroit et figé. La perspective demeure, donc, d'une relation "authentique et profonde"; elle demeure pendant des années, parfois des dizaines d'années, jusqu'à ce qu'un événement définitif et brutal (en général de l'ordre du décès) vienne vous apprendre qu'il est trop tard, que cette relation "authentique et profonde" dont on avait caressé l'image n'aurait pas lieu, elle non plus, pas davantage que les autres."

(Michel Houellebecq, Les particules élémentaires)

lundi 29 octobre 2007

Adieu Jacques

"Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche."

(Charles Baudelaire)

vendredi 26 octobre 2007

"C'était une chambre d'observation intensive, où sa grand-mère était seule. Le drap, d'une blancheur extrême, laissait à découvert ses bras et ses épaules; il lui fut difficile de détacher son regard de cette chair dénudée, ridée, blanchâtre, terriblement vieille. Ses bras perfusés étaient attachés au bord du lit par des sangles. Un tuyau cannelé pénétrait dans sa gorge. Des fils passaient sous le drap, reliés à des appareils enregistreurs. Ils lui avaient enlevé sa chemise de nuit; ils ne l'avaient pas laissée refaire son chignon, comme chaque matin depuis des années. Avec ses longs cheveux gris dénoués. Ce n'était plus tout à fait sa grand-mère; c'était une pauvre créature de chair, à la fois très jeune et très vieille, maintenant abandonnée entre les mains de la médecine. Michel lui prit la main; il n'y avait que sa main qu'il parvienne tout à fait à reconnaître. Il lui prenait souvent la main, il le faisait encore tout récemment, à dix-sept ans passés. Ses yeux ne s'ouvrirent pas; mais peut-être, malgré tout, est-ce qu'elle reconnaissait son contact. Il ne serrait pas très fort, il prenait simplement sa main dans la sienne, comme il le faisait auparavant; il espérait beaucoup qu'elle reconnaisse son contact."

(Michel Houellebecq, Les particules élémentaires)

mercredi 17 octobre 2007

Tant de temps perdu

"Ce n'est pas que nous disposions de très peu de temps, c'est plutôt que nous en perdons beaucoup."

(Sénèque)

dimanche 14 octobre 2007

Les étoiles de mer

"Un homme marche sur une plage couverte de millions d’étoiles de mer qui meurent au soleil. À chaque pas, il ramasse une étoile et la rejette à la mer. Un camarade qui le regarde lui fait remarquer : "Te rends-tu compte qu’il y a des millions d’étoiles de mer sur la plage ! Si louables soient-ils, tes efforts ne font aucune différence." Et l’homme, tout en jetant une étoile de plus à l’eau, de répondre : "Si, pour celle-ci, cela fait une différence !"

(Matthieu Ricard, Plaidoyer pour le bonheur)

samedi 6 octobre 2007

Souffrance et malheur

"Tout comme nous avons distingué le bonheur du plaisir, il faut aussi faire la différence entre souffrance et malheur. On subit la souffrance mais on crée le malheur. Les souffrances sont déclenchées par une multiplicité de causes sur lesquelles nous avons parfois quelque pouvoir, souvent aucun. Naître avec un handicap, tomber malade, perdre un être cher, être pris dans une guerre ou victime d’une catastrophe naturelle, échappent à notre volonté. Tout autre est le malheur, c’est-à-dire la façon dont nous vivons ces souffrances. Le malheur peut certes être associé à des douleurs physiques et morales provoquées par des conditions extérieures, mais il n’est pas essentiellement lié à celles-ci. Dans la mesure où c’est l’esprit qui traduit la souffrance en malheur, il lui incombe d’en maîtriser la perception. L’esprit est malléable. Rien en lui n’impose une souffrance irrémédiable. Un changement, même minime, dans la manière de gérer nos pensées, de percevoir et d’interpréter le monde peut considérablement transformer notre existence."

(Matthieu Ricard, Plaidoyer pour le bonheur)

vendredi 5 octobre 2007

Le bonheur inaltérable ?

"Mis à part les victimes d’expériences particulièrement traumatisantes comme la torture ou le viol, la majorité de ceux que frappent la cécité ou la paralysie retrouvent rapidement le degré de bonheur antérieur à leur changement d’état. Lors d’une étude portant sur cent vingt-huit tétraplégiques, la plupart ont reconnu qu’ils avaient tout d’abord songé à se suicider. Un an plus tard, seulement dix pour cent jugeaient leur vie misérable : la majorité l’estimait bonne. Les étudiants de l’université de l’Illinois aux États-Unis n’ayant rien vécu de tel se déclaraient heureux 50% du temps, malheureux 22% du temps et ni l’un ni l’autre 29% du temps. Il apparaît que les évaluations fournies par les étudiants handicapés sont identiques à 1% près."

(Matthieu Ricard, Plaidoyer pour le bonheur)

mardi 2 octobre 2007

Ce qu'on peut faire de mieux

"On ne dit pas assez que ce que nous pouvons faire de mieux pour ceux qui nous aiment, c’est encore d’être heureux."

(Alain)