dimanche 18 décembre 2022

Carpe diem

 "Vis plus souvent tu mourras moins longtemps."

(Réjean Ducharme, L'hiver de force)

 "On n'est plus peureux, anxieux, niaiseux ; on n'a plus d'âge, d'usages, de visage ; on a tout jeté ça."

(Réjean Ducharme, L'hiver de force)

 "Si on le jette encore, si on s'accroche pas, si on s'en souvient même plus, il va encore rester rien. C'est-à-dire qu'il va rester encore toute la place, c'est-à-dire notre pleine liberté..."

(Réjean Ducharme, L'hiver de force)

jeudi 15 décembre 2022

 "Tout le monde est obligé de se retenir, de s'empêcher de se donner. Les gens ne veulent que ton plus petit peu. Le moins de mots possible dans une phrase, le moins de phrases dans une lettre, le moins de lettres dans une année..."

(Réjean Ducharme, L'hiver de force)

mardi 13 décembre 2022

 "On a regardé dehors. Il n'y avait rien, sauf le printemps, et il ne faisait rien. On a lavé la vaisselle. Il n'y en avait pas beaucoup ; ça a été vite fait. Avant, quand il ne nous restait plus rien à faire, on se creusait la tête. "C'est effrayant, la vie est en train de nous passer sous le nez." Maintenant on s'assoit et on reste assis tranquilles en priant le bon Dieu que ça ne change pas. "On est donc bien!" On s'est dit que ce qui nous passe sous le nez ne nous passe pas à travers le coeur. Et on s'est crus."

(Réjean Ducharme, L'hiver de force)

mercredi 9 novembre 2022

L' aviateur

 "Il se penche : "Adieu, mes amis..." Pour cet adieu dans l'aube, ils traînent des ombres immenses. Mais, au seuil de ce bond de plus de trois mille kilomètres, le pilote est déjà loin d'eux... Il regarde le capot noir appuyé sur le ciel, à contre-jour, en obusier. Derrière l'hélice, un paysage de gaze tremble.

Le moteur tourne maintenant au ralenti. On dénoue les poignées de main comme des amarres, les dernières. Le silence est étrange quand on agrafe sa ceinture et les deux courroies du parachute, puis quand d'un mouvement des épaules, du buste, on ajuste à son corps la carlingue. C'est le départ même : dès lors, on est d'un autre monde.

Un dernier coup d'oeil au tablier, horizon de cadrans, étroit mais expressif - on ramène, soigneux, l'altimètre à zéro, - un dernier coup d'ail aux ailes épaisses et courtes, un signe de la tête : "Ça va...", le voilà libre.




Ayant roulé lentement vent debout, il tire à lui la manette des gaz; le moteur, décharge de poudre s'embrase; l'avion, happé par l'hélice, fonce. Les premiers bonds sur l'air élastique s'amortissent, et le pilote, qui mesure sa vitesse aux réactions des commandes, se propage en elles, se sent grandir.

Le sol maintenant paraît se tendre, filer sous les roues comme une courroie. Ayant enfin jugé l'air, d'abord impalpable, puis fluide, devenu maintenant solide, le pilote s'y appuie et monte.

Les hangars qui bordent la piste, les arbres, puis les collines livrent l'horizon et se dérobent. À deux cent mètres, on se penche encore sur une bergerie d'enfant aux arbres posés droit, aux maisons peintes, les forêts sont encore épaisses comme une fourrure. Puis le sol se dénude.

L'atmosphère est houleuse, faite de vagues courtes et dures sur lesquelles l'avion bute et cabre; les remous le frappent aux ailes et, tout entier, il résonne. Mais le pilote le tient dans la main comme par le centre un balancier.

A trois mille, il gagne le calme. Le soleil se prend dans la mâture, aucun remous ne l'y agite. La terre, si loin, se fige, immobile. Le pilote règle les volets, le correcteur d'air et, le cap sur Paris, calcule sa dérive. Puis, se laissant engourdir pour dix heures, il ne se meut plus que dans le temps."

(Antoine de Saint-Exupéry, L'Aviateur)

dimanche 9 octobre 2022

Vivre et laisser-vivre

« Laisse ton enfant faire ce qu’il veut; tu n’es pas à ta place. Laisse-le vivre. »

(Croyance forte chez les Yaka, un peuple de chasseurs-cueilleurs d’Afrique centrale. In Michaeleen Doucleff, Chasseur, ceuilleur, parent)