mardi 12 juillet 2005

Les livres : 8ème péché capital ou compagnons de vie ?

"Je me dis qu'il n'existe aucun livre (ou peu, très peu) dans lequel je n'ai rien trouvé qui m'intéresse. Je me dis que, d'abord, je ne les ai pas introduits chez moi sans raison, et que cette raison peut prévaloir à nouveau dans l'avenir. Je me donne pour excuses la complétude, la rareté, une vague érudition. Mais je sais que la raison majeure de mon attachement à ce trésor amassé sans relâche est une sorte d'avidité voluptueuse. J'aime contempler mes bibliothèques encombrées, pleines de noms plus ou moins familiers. Je trouve délicieux de me savoir entouré d'une sorte d'inventaire de ma vie, assorti de prévisions de mon avenir. J'aime découvrir, dans des volumes presque oubliés, des traces du lecteur que j'ai été un jour - griffonnages, tickets d'autobus, bouts de papier avec des noms et des numéros mystérieux, et parfois, sur la page de garde, une date et un lieu qui me ramènent à un certain café, à une lointaine chambre d'hôtel, à un été d'autrefois. Je pourrais, s'il le fallait, abandonner tous mes chers livres et recommencer ailleurs; je l'ai déjà fait, plusieurs fois, par nécessité. Mais alors j'ai dû admettre aussi une perte grave, irréparable. Je sais que quelque chose meurt quand je me sépare de mes livres, et que ma mémoire continue de se tourner vers eux avec une nostalgie endeuillée."

(Alberto Manguel, Une histoire de la lecture)