vendredi 17 février 2006

Souveraineté du vide

"Plus assez de poids, plus assez d'ombre pour accomplir une tâche, assurer le suivi d'une lecture ou même simplement pour marcher. Oisiveté. Lumière dansante, allègre, lumière non visible, lumière du dedans. Ne restent plus que des pensées enveloppantes, développantes. Livres. Beaucoup de livres dans cette chambre. Beaucoup de vagues. Beaucoup d'arbres. Étant dans cette chambre comme dans une forêt, comme au fond de la mer. Beaucoup de chambres dans cette chambre. Étant partout comme dans une chambre, comme dans une forêt, comme au fond de la mer. Partout ainsi. À ne rien faire. À regarder, tout. Je ne serais fait pour rien. Je serais fait pour cela : tout. L'Amour. Les choses s'avancent vers moi, toutes choses. Par leur silence, elles entrent en moi. D'abord par leur silence. Puis leur lumière s'élabore en moi, discrète, infime. Miraculée. Enfin l'embrasement, l'éclair, le brûlant, le radieux. Ensuite, écrire, seulement ensuite. Voilà. C'est tout. Je ne saurais rien faire d'autre. Seulement cet échange de silence en lumière. L'Amour. Il passe mes lèvres, coupe les lignes de ma main, à l'envers, puis à l'endroit, puis à l'envers, ainsi de suite. Je regarde ce mouvement. J'écris, voyez, je vous écris. Ces lettres. Cette lettre."

(Christian Bobin, Souveraineté du vide. Lettres d'or)