"À la télé, une vieillarde, les cheveux blancs ramassés en une queue de cheval négligée, portant des habits d'une autre époque, des épaisseurs de tuniques de soie et de coton, beiges, gris, bruns, crème, par-dessus des collats-bottes ivoire, marche plus que lentement sur un trottoir achalandé de Tokyo où des centaines d'hommes et de femmes, mallette et sacs à la main, courent à tous vents, esquivant les centaines de petites voitures qui roulent à vive allure et pénètrent dans d'immenses buildings. Au coeur du brouhaha qui tourbillonne autour d'elle, la vieillarde avance d'un pas, puis elle rassemble ses pieds, s'arrête, agite une clochette de bronze, la laisse résonner, attend quelques secondes et repart, rassemblant ses pieds, s'arrêtant, sonnant la clochette, attendant et repartant, annonçant à chaque drelin la naissance d'une fleur, d'une abeille, d'une vague, que je m'invente. La vieille dame crée un rayon autour d'elle. Personne ne la dérange. Elle ne dérange personne. On la contourne, pressé. Une cohabitation de temps."
(Geneviève Robitaille, Désamours)