"À raison d'un pot par jour, un an n'aurait pas suffi à essayer toutes les sortes de yaourts et de desserts lactés. Il y avait des dépilatoires différents pour les aisselles masculines et féminines, des protège-strings, des lingettes, des "recettes créatives" et des "petites bouchées rôties" pour les chats, divisés en chats adultes, jeunes, seniors, d'appartement. Rien du corps humain, de ses fonctions, n'échappait à la prévoyance des industriels. Les aliments étaient soit "allégés" soit "enrichis" de substances invisibles, vitamines, oméga 3, fibres. Tout ce qui existe, l'air, le chaud et le froid, l'herbe et les fourmis, la sueur et le ronflement nocturne, était susceptible d'engendrer des marchandises à l'infini et des produits pour entretenir celles-ci dans une subdivision continuelle de la réalité et une démultiplication des objets. L'imagination commerciale était sans bornes. Elle annexait à son profit tous les langages, écologique, psychologique, se parait d'humanisme et de justice sociale, nous enjoignait de "lutter tous ensemble contre la vie chère", prescrivait : "faites-vous plaisir", "faites des affaires". Elle ordonnait la célébration des fêtes traditionnelles, Noël et la Saint-Valentin, accompagnait le ramadan. Elle était une morale, une philosophie, la forme incontestée de nos existences. La vie. La vraie. Auchan."
(Annie Ernaux, Les années)