"Si je maîtrisais quoi que ce soit, je serais maître, de musique, par exemple, ou d'école, ou d'autre chose.
Alors je m'y dévouerais à m'en esquinter la mâchoire, parce que j'aurais tant de choses à enseigner avant que le temps passe, je parlerais vite par peur d'ennuyer mes élèves, j'essayerais de faire de l'humour, pour qu'ils me pardonnent de les obliger à rester assis.
Parfois je tremblerais à l'idée d'une telle responsabilité, à la seule idée qu'une marque d'impatience, d'irritabilité ou d'indifférence puisse briser à tout jamais une grande histoire d'amour entre un enfant et l'apprentissage. Si je devais, un matin où je serais fatiguée, ne pas voir une plaie pourtant béante, si je devais, de ma seule parole de maître, anéantir un rêve ou une ambition, je ne m'en remettrais pas.
D'autres fois, je serais sans courage devant l'ampleur de la tâche, j'aurais envie de coucher ma tête sur mon bureau de maître, et d'avouer à mes élèves que je ne maîtrise rien et encore moins la situation, et ils regarderaient mon triste spectacle, désolés et impuissants.
Autant vous dire que je serais sans doute un très mauvais maître, et c'est l'une des raisons qui m'ont fait écrire cette sorte d'hommage.
Avec toute mon admiration"
(Evelyne de la Chenelière, Bashir Lazhar)