mercredi 21 septembre 2005

Parlons d'amandier en fleur...

"Parler de peinture ce n'est pas comme parler de littérature. C'est beaucoup plus intéressant. Parler de peinture c'est très vite en finir avec la parole, très vite revenir au silence. Un peintre c'est quelqu'un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence. Un peintre c'est quelqu'un qui nous envoie sans arrêt des photographies du monde. Beaucoup d'images, trop d'images pour les serrer toutes dans un portefeuille et les sortir de temps en temps : voici le monde comme il bat dans le coeur d'un inconnu. Voici le coeur d'un inconnu comme il bat dans mon coeur. Bonnard est mort en 1947. Sa dernière note dans son dernier carnet disait ceci : "J'espère que ma peinture tiendra, sans craquelures. Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l'an 2000 avec des ailes de papillon." Sa dernière peinture était celle d'un amandier en fleur. Un dernier souffle, un ultime effort : allez, tout donner une dernière fois, tout fleurir d'un seul coup, partir sans regret, sans rien laisser au fond de soi. Il y a deux attitudes possibles devant la mort. Ce sont les mêmes attitudes que devant la vie. On peut les fuir dans une carrière, une pensée, des projets. Et on peut laisser faire - favoriser leur venue, célébrer leur passage. La mort dont nous ne savons rien posera sa main sur notre épaule dans le secret d'une chambre ou elle nous giflera dans la lumière du monde - c'est selon. Le mieux que nous puissions faire en attendant ce jour est de lui rendre sa tâche légère : qu'elle n'ait presque rien à prendre parce que nous aurions déjà presque tout donné. Qu'elle n'ait à tenir entre ses doigts que quelques fleurs d'amandier."

(Christian Bobin, L'inespérée)

Les "lumières" de Provence sont à Montréal à compter de demain jeudi 22 septembre au Musée des Beaux-Arts. Il ne nous restera plus qu'à imaginer l'odeur combinée de lavande, de thym, de tilleul et de romarin, le souffle du Mistral dans nos cheveux, le chant insistant des cigales camouflées dans les chênes et la chaleur du fort soleil du midi sur notre peau ... Ma Provence telle qu'elle bat dans le coeur de Vincent Van Gogh, Paul Cézanne, Hubert Robert, Joseph Vernet, Émile Loubon, Claude Monet, Auguste Renoir, Paul Signac, Albert Marquet, Charles Camoin, André Derain, Raoul Dufy et Georges Braque.