lundi 17 juillet 2006

Mortelle pédagogie

"En quoi la mort serait-elle au fondement de la communauté ? Elle n'est pas en dehors de nous - une sorte de pure extériorité qui viendrait nous faucher à l'heure dite. Elle m'habite. Elle est mienne et déjà en moi, en m'initiant au sens de l'altérité, jour après jour. Je fais l'expérience de cette pédagogie de la mort, à tous les "coins" de ma vie, lors des séparations, des changements, des brisures, des contraintes qui pèsent sur moi, lorsqu'une volonté s'impose à la mienne et lorsque je suis désavoué ou lorsqu'il me faut accepter une évidence plus puissante que mon désir. Ce goût de la mort est le goût de ma faiblesse, de mon humanité. Je ne suis pas tout puissant, seul au monde, capable d'imposer ma volonté à tout, ni à tous. Dès que ma quiétude est mise à mal, que j'expérimente mes limites et me mets à l'épreuve du respect dû aux autres, je fais l'apprentissage de ces milliers de petites morts qui finissent par me constituer. Ces morts-là m'ajustent à un équilibre fragile de relations et de règles. Et lorsque je fais l'expérience, une fois, cent fois, mille fois, dix mille fois de cette incertitude humaine, des frontières inhérentes à mon désir d'avoir et d'être, j'apprend le goût de la mort. Je fais des expériences d'altérité. Si mon désir ne fait pas l'apprentissage des limites, il considère le monde à sa merci et les hommes comme des objets à sa disposition. Il devient mortifère. Nous quittons alors le domaine de la politesse, le respect des autres et des règles communes. La tyrannie qu'elle soit domestique ou politique, exerce une violence inacceptable. Ou l'on voit que la pédagogie de la mort est au service de la vie en commun..."

(Damien Le Guay, "Nous ne savons plus mourir !", Le Nouvel Observateur, hors-série avril/mai 2006, p.10)