dimanche 6 avril 2008

Gynocide

"Il entend des cris de joie dans les maisons berbères saluant la naissance d'un garçon et des lamentations si c'est une fille. Il a traversé des villages dans les campagnes de Chine où les mères se pendent si elles enfantent une fille. Il a vu en Inde, où il manque cinquante millions de femmes, le visage des victimes qu'on a tenté de brûler. Il a lu dans le Coran - ce bégaiement paniqué de berger hagard - le mépris ruisselant de stupidité dans lequel est tenue la femme. Il sait qu'en Europe, autour de lui, sous ses yeux, la situation n'est pas plus heureuse. Dans les champs tropicaux qu'il a traversés, il n'a souvent vu que la silhouette des femmes affairées aux moissons pendant que les hommes s'adonnaient à cette occupation qui tient en haleine, chaque jour des milliards d'entre eux: suivre l'ombre d'un arbre au fur et à mesure que le soleil se déplace dans le ciel. Dans des pays de sable et de soleil se déplace dans le ciel. Dans des pays de sable et de soleil, il a partagé des dîners à la table du maître de maison pendant que la mère de famille se nourrissait par terre de ce qu'on lui laissait. Il a rencontré des familles composées de petits garçons gras comme des poussahs entourés de fillettes aux côtes saillantes. (...) Et c'est ainsi que, malgré lui, il a perdu son humanisme. Il ne comprend pas pourquoi l'humanité se rend coupable d'un gynocide permanent (dont les victimes n'ont même pas, elles, le baume du devoir de mémoire) et ne voit pas pourquoi il lui faudrait aimer ou respecter cette humanité-là."

(Sylvain Tesson, Petit traité sur l'immensité du monde)