mardi 15 mars 2005

Mon pays, c'est le silence

"Je n'aime pas la neige, ni le froid, ni l'hiver. Je hais l'hiver. Mais il existe un jour dans l'année, un moment magique que même le cinéma ne peut reproduire. Tu t'éveilles un matin, et dans ta maison la lumière t'aveugle. Dehors, le soleil brille deux fois plus qu'au beau milieu de l'été, et tout ce qui depuis des semaines était sale, gris, brun, feuilles mortes, boues mêlées de fleurs fânées, tout ce que l'automne enveloppait de sa morbidité, tout cela est, ce matin-là, plus blanc que ton chemisier le plus blanc. Mieux encore, cette blancheur scintille de milliards d'étoiles qui te font penser que quelqu'un a semé de la poussière de diamant dans la terre blanche. Cela dure quelques heures, parfois une journée. Puis la saleté, qui suinte des villes comme la sueur des corps, souille cette fragile pureté. Mais dans nos grands espaces, loin des villes, sur nos collines qui ne sont que de petites bosses à côté des tiennes, la blancheur de la neige se fait un lit durant des mois. Et dans ce lit s'installe le silence. Tu ne connais pas le silence. Tu ne peux imaginer comment il enveloppe et habille. Le silence dicte le rythme de ton coeur et celui de tes pas. Ici, tout parle. Tout jacasse et hurle et soupire et crie. Pas une seconde qui ne soit ponctuée d'un son, d'un bruit, d'un aboiement. Chaque arbre est un haut-parleur, chaque maison, une caisse de résonance. Donc, il y a ce mystère dans mes collines, le silence. Je sais, tu as peur du silence, tu me l'as dit. Mais ce n'est pas le vide comme tu crois. C'est lourd et oppressant, car pas un chant d'oiseau, pas un bruit de pas, pas un son d'une musique ou d'une parole ne parvient à nous détourner de nous-mêmes. Tu as raison, le silence est effrayant car dans le silence on ne peut pas mentir."

(Gil Courtemanche, Un dimanche à la piscine à Kigali)