mercredi 12 septembre 2012

"Nos cartes géographiques sont essentiellement touristiques et notre vision du monde est journalistique. Chacun connaît son Mexique, à travers des sites mythiques de farniente, de repos, d'hôtels, de soleil, de plage. Les plus perspicaces d'entre nous pousseront l'intérêt jusqu'aux trésors précolombiens; il n'y a rien comme une pyramide pour vous remonter la cote d'un site. La nouvelle carte mondiale est une carte de crédit, nous voulons tous nous payer une dose de "dé-pays", cela est en somme un forfait. Chacun sait que le monde souffre, par la guerre, les horreurs, les catastrophes naturelles et la pauvreté scandaleuse. Les chefs d'antenne se pressent sur les lieux des drames afin que nous ayons le sentiment de nous rapprocher de la souffrance. Il faut bien que diffuseur diffuse. Nous sommes devenus les globe-trotters d'une terre achalandée, les nouveaux explorateurs d'un monde archi-connu. Oui, chacun est la vedette de son propre cliché, sur fond de photos et de vidéos. Nous sommes les légendes instantanées d'un grand album Internet qui nous permet de montrer notre face à l'écran. Nous faisons la file au pied du Kilimandjaro et des allers-retours en Thaïlande, sans autre effort que le transport de nos valises dans les corridors de l'aéroport. Mais où s'en vont les reportages personnels, les twitters, les "chats", les Facebook de nos tribulations modernes, les milliards de photos numériques de nous-mêmes? Nous sommes devenus des petits "moi" chronophobes rebondissant en jet aux quatre coins de la planète. Mais que savons-nous du sol que nous foulons? Nous souvenons-nous qu'il n'est qu'un seul voyage, celui de notre vie, et que ce voyage-là n'est pas une partie de plaisir, surtout vers la fin?" (Serge Bouchard, C'était au temps des mammouths laineux)