"La science est exploratoire, y compris quant à ses propres modalités.
C'est en ce sens que Feyerabend évoque ce qu'il nomme "l'anarchisme épistémologique". Il n'existe aucune règle simple qui serait suivie par toutes les sciences, ni même par une seule science à toutes les époques. Et peut-être pas même par une science donnée à un instant donné. Il considère que la seule règle qui vaille pour décrire la manière dont une théorie devient le paradigme dominant est "tout est bon". Il ne faut pas mésinterpréter cet adage. Il ne s'agit pas d'encourager les scientifiques à user de tous les moyens et moins encore à faire n'importe quoi! Il s'agit simplement de constater que, au vue de l'histoire des sciences, des astuces de type logique, rhétorique, esthétique, voire éthique, ont effectivement été employées dans l'avènement des modèles aujourd'hui admis ou utilisés. Que cela plaise ou non, telle est l'histoire. Il n'existe pas de règle identifiable. Quelle que soit la règle considérée, il sera possible de trouver un exemple où elle fut fructueusement violée. Les faits dépendent aussi des théories et non pas seulement l'inverse. Et Feyerabend a beau jeu de considérer la révolution copernicienne qui, en effet, fit essentiellement voler en éclats tous les dogmes qui la précédaient, y compris au niveau méthodologique. Sans doute est-il juste, comme il le proposa, de penser "la science en tant qu'art". Et, à mon sens, cela n'est pas une insulte à la démarche scientifique, bien au contraire! Donner à cette dernière le droit à ne pas être un ultime dévoilement du réel mais plutôt une invention sous contraintes, c'est sans doute lui reconnaître l'humilité et la créativité qui, parfois, lui sont déniées."
(Aurélien Barrau, De la vérité dans les sciences)