samedi 1 avril 2006

"Chaque moment est une neuve et bouleversante évaluation de tout ce que nous fûmes"

II

"Que fait donc ce tardif Novembre
Avec son trouble printanier
Ses créatures de l'été,
Ses perce-neige que le pied broie
Ses passeroses qui visent trop haut
Rouges sur gris, et dégringolent
Ses roses tardives qu'emplit la neige ?
Roulant aux astres, le tonnerre
Simule les chars de triomphe
Déployés en arrois stellaires
Le Scorpion combat le Soleil
Qui décline ainsi que la Lune
Comètes pleurent, Léonides volent
Tous vont chassant par cieux et plaines
Pris au vortex qui commettra
Le monde à ce feu destructeur
Dont l'action précède le règne
De la calotte glaciaire.
C'était une façon de dire les choses - mais pas très satisfaisante :
Une étude périphrastique sur un mode poétique désuet,
Vous laissant toujours en proie à l'intolérable lutte
Avec les mots et les sens. La poésie n'importe point.
Ce n'était pas (pour recommencer) ce que l'on avait escompté.
Quelle allait être la valeur du calme longtemps attendu,
Longuement espéré, la sérénité automnale
Et la sagesse de l'âge ? Nous avaient-ils leurrés
Ou s'étaient-ils leurrés eux-mêmes, les aînés à la voix tranquille ?
Nous avaient-ils légué simplement une recette de duperie ?
La sérénité n'était-elle qu'hébétude délibérée,
La sagesse que la connaissance de secrets morts
Inutiles dans la ténèbre où ils plongeaient
Ou dont ils détournaient les yeux ? Il n'y a, à ce qu'il nous semble,
Au mieux, qu'une valeur limitée
Dans le savoir dérivant de l'expérience.
Le savoir impose un motif, et falsifie.
Car le motif se renouvelle à chaque moment
Chaque moment est une neuve et bouleversante
Évaluation de tout ce que nous fûmes. Nous sommes seulement
détrompés
De tout ce qui, en nous trompant, ne pourrait plus nous nuire.
Étant à mi-chemin, pas seulement à mi-chemin,
Tout le long du chemin, dans un bois noir, dans la ronceraie,
Sur le bord d'un bourbier où le pied ne peut s'assurer
Menacés par des monstres, des lueurs fantastiques,
Risquant l'ensorcellement. Que je n'entende pas parler
De la sagesse des vieillards, mais bien plutôt de leur folie,
De leur crainte de la crainte et de la frénésie, de leur crainte
d'être possédés,
D'appartenir à un autre, à d'autres, à Dieu.
La seule sagesse que nous puissions espérer acquérir
Est la sagesse de l'humilité; car l'humilité est sans bornes.

Les maisons s'en sont allées toutes sous la mer.

Les danseurs s'en sont tous allés sous la colline."

(T.S. Eliot, Quatre Quatuors - East Coker)